Profil de défenseur : Jean-Pierre Okenda, République Démocratique du Congo

26.10.2015

Après avoir travaillé pendant un certain nombre d’années avec des organisations de défense des droits humains, Jean-Pierre Okenda a tracé son propre chemin pour réduire les impacts des projets de l’industrie extractive sur les droits de l’homme dans son pays. 

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Après avoir travaillé pendant un certain nombre d’années avec des organisations de défense des droits humains, Jean-Pierre Okenda a tracé son propre chemin pour réduire les impacts des projets de l’industrie extractive sur les droits de l’homme dans son pays. Pour remplir son rôle de coordinateur d’une plateforme d’organisations de la société civile dans le secteur minier, il doit s’immerger grandement dans des livres et des textes, mais également avec les gens. ISHR a parlé avec M. Okenda en marge d’une réunion de la Commission africaine pour entendre son histoire.

Définir le problème en RDC

Dans le contexte de la RDC, il était absolument essentiel de réorienter mon travail afin de créer une connexion claire entre les droits de l’homme et le secteur des industries extractives, ce qui a nécessité beaucoup de recherches. Il fallait comprendre les enjeux mondiaux du problème. Il fallait expliquer comment les relations bilatérales et les traités d’investissement impactent réellement les citoyens ordinaires et leurs droits.

Faire de la recherche uniquement pour faire de la recherche n’est pas le but de M. Okenda. Il cherche à développer des réseaux, des formations et des outils pour donner aux communautés affectées et à d’autres organisations les moyens pour mieux documenter, comprendre et évaluer les impacts d’un projet sur les droits de l’homme. Il met également l’accent sur le rôle de la recherche dans le renforcement de la compréhension des populations des liens entre les droits de l’homme, les industries extractives et la taxation, les revenus et les autres problèmes « techniques ». Il a également appelé à des réformes juridiques pour aider à protéger les droits de l’homme au niveau local.

Partir de la base

Créer des relations avec le gouvernement et les entreprises est un défi. Mais cela est possible, si l’on comprend sur quoi ils se basent.

J’ai envoyé un questionnaire sur les droits de l’homme aux autorités locales et nationales et         vous savez quoi ? A part un peu de connaissances générales à l’échelon central, il y avait un écart total en termes de connaissances en matière de droits de l’homme. Cela montre sans équivoque que parfois, des violations sont commises à cause de ce manque de connaissance ou de formation. Et pourtant, ces autorités ont la responsabilité de protéger et de faire respecter ces droits !

« Il est important qu’elles sachent ce que nous recherchons lorsque nous venons et demandons tel ou tel document, » ajouta-t-il.

Avec les entreprises, c’est la même chose. Elles se limitent à deux choses : au cadre juridique et aux priorités et politiques internes de l’entreprise. Si elles n’ont pas de politique interne, il est probable qu’elles ne sachent rien des droits de l’homme. Pour les faire penser aux droits de l’homme, il est primordial d’utiliser un langage qu’elles comprendront, le langage du professionnalisme.

Afin d’insister davantage sur le renforcement des capacités des communautés locales et de la société civile pour qu’elles puissent agir, M. Okenda a noté qu’il est extrêmement important que les institutions de défense des droits de l’homme soient décentralisées, afin que même les communautés se trouvant loin de Kinshasa puissent avoir accès aux ressources et à l’assistance nécessaires pour combattre les violations et les abus. « Il y a un mouvement mondial grandissant vers une plus grande participation de la société civile dans les décisions liées aux politiques et à la planification, ainsi qu’à la mise en œuvre. Il est nécessaire de voir ce mouvement également s’appliquer au domaine des industries extractives. »

Il est important que les communautés locales participent à la conversation au niveau mondial sur les droits de l’homme et les entreprises. Mais leur capacité à participer est limitée, affirme M. Okenda, et alors même que les droits de l’homme sont essentiels pour résoudre ce problème, ces droits seront toujours limités par l’hypocrisie des gouvernements, le néolibéralisme, la crise financière et d’autres préoccupations géostratégiques.

Les risques pour les défenseurs sont flagrants et omniprésents

M. Okenda est clair : les risques existent, pour tous les défenseurs des droits de l’homme, notamment les intimidations, les attaques violentes, la dénonciation et les poursuites judiciaires abusives. Pour ceux travaillant sur des questions liées aux investissements et aux industries extractives, le problème est que ces risques proviennent des personnes ou des institutions (par exemple des agences gouvernementales) qui sont justement censées protéger ces personnes.

Par conséquent, selon M. Okenda, les défenseurs sont tous les jours confrontés à un dilemme personnel : faire ce qu’ils estiment être juste et défendre les intérêts d’une communauté, ou protéger leurs biens et leur vie ainsi que celle de leurs familles. En plus de ces risques manifestes, certains défenseurs subissent des pressions de la part de leurs propres familles, qui s’inquiètent des impacts que le travail de défense des droits peut avoir sur leur sûreté et leur sécurité. « Lorsque la famille devient vulnérable, tu es aussi réellement affaibli. »

Malgré tout, conclut M. Okenda,

Même s’il y a des risques, même si nous, défenseurs des droits de l’homme, subissons un échec ou perdons patience, il est essentiel de continuer à élever notre voix. Le silence est la plus grande des menaces.

M. Okenda reste optimiste quant à son travail. Les efforts visant à encourager le gouvernement à reconnaître les défenseurs des droits de l’homme et, avec les acteurs d’entreprises, à considérer les défenseurs comme des partenaires et non plus comme des adversaires, seront cruciaux. 

 

Dans les semaines et jours précédant le Forum des Nations Unies sur les droits de l’Homme et les entreprises, ISHR publiera une série d’articles rédigés par des experts reconnus tels que des défenseurs des droits de l’Homme, des représentants de l’ONU, des diplomates, des représentants d’entreprises et des ONG internationales. Chaque article comprendra une analyse du rôle crucial des défenseurs et sera inclus dans une compilation qui constituera l’édition spéciale de notre Human Rights Monitor. Cette édition sera publiée  le 9 novembre en français, anglais et espagnol. Les opinions exprimées dans ces articles sont celles de leurs auteurs respectifs et ne reflètent pas nécessairement les positions d’ISHR.