Le rôle des défenseurs des droits de l’homme dans l’amélioration des chaînes d’approvisionnement

26.10.2015

Le prochain  Forum de l'ONU sur les entreprises et les droits de l'homme  marquera le quatrième anniversaire des Principes directeurs de l’ONU, un moment opportun pour dresser un bilan des développements dans le domaine des entreprises et des droits de l’homme. 

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Genève  Par Michael Posner, Professeur « Jerome Kohlberg » à la NYU Stern School of Business

Cette année, le thème du Forum de l’ONU sur les entreprises et les droits de l’homme est « mesurer les progrès et garantir la cohérence. » Ce Forum marque le quatrième anniversaire des Principes directeurs de l’ONU, un moment opportun pour dresser un bilan des développements dans le domaine des entreprises et des droits de l’homme. Les organisateurs du Forum ont justement remarqué que, bien que des progrès aient été réalisés depuis 2011, « il reste beaucoup à faire pour que les déclarations et engagements politiques se traduisent en actions et pour garantir aux victimes de violations des droits de l’homme liées à des entreprises un accès à des recours efficaces. » Il est à présent nécessaire d’accorder une plus grande attention à surmonter les difficultés rencontrées en matière de droits de l’homme dans les chaînes d’approvisionnement internationales. Un élément essentiel de cet effort est d’instaurer une plus grande transparence, domaine dans lequel les défenseurs des droits de l’homme ont un rôle vital à jouer.

Dès le début des années 1990, les chaînes d’approvisionnement mondiales ont été stimulées par l’expansion rapide des économies de marché, la libéralisation des échanges, et les avancées dans les technologies des transports et de la communication. L’expansion des vastes chaînes d’approvisionnement mondiales a eu lieu dans les domaines de l’industrie manufacturière, de l’agriculture, de la pêche et dans d’autres secteurs. Ce modèle de chaîne d’approvisionnement a eu de nombreuses retombées économiques pour la production industrielle, en réduisant considérablement les coûts et en rendant disponible un nombre beaucoup plus élevé de produits et de matières premières dans des délais plus courts. L’expansion de ces chaînes d’approvisionnement a également créé des millions de nouveaux emplois, aidant à sortir des centaines de milliers de personnes de situations de pauvreté extrême.

Mais la croissance rapide des chaînes d’approvisionnement a également posé de nouveaux défis, soumettant de nombreuses personnes travaillant dans ces industries à l’exploitation et à des conditions de travail dangereuses ne respectant pas les normes internationales du travail. Les gouvernements d’accueil des pays où ce genre de travail est effectué ont le devoir impératif de protéger ces travailleurs, mais ils n’ont bien trop souvent pas assez de volonté ou de capacité pour protéger leur propre peuple. Dans l’économie mondiale d’aujourd’hui, hautement compétitive, nombre de ces gouvernements assouplissent les réglementations du travail et leur application parce qu’ils cherchent à signer des contrats commerciaux avec des marques mondiales. Dans beaucoup d’endroits, ils cherchent également à attaquer, stigmatiser ou réduire au silence des leaders syndicaux et des défenseurs des droits de l’homme qu’ils estiment être un obstacle à leurs efforts visant à attirer des entreprises mondiales pour qu’elles entreprennent des activités commerciales dans leur pays.

Dans l’absence d’une régulation gouvernementale stricte de ces lieux de travail, les marques et détaillants mondiaux ont eu des difficultés à définir ce que les Principes directeurs de l’ONU appellent la « responsabilité des entreprises de protéger » les droits de l’homme. Des entreprises de différents secteurs ont pris certaines mesures préliminaires pour résoudre ces problèmes, en développant une série d’outils à cette fin. Beaucoup ont créé des codes de conduites et des programmes de surveillance pour leur entreprise, en utilisant le modèle des mécanismes de contrôle de leurs principaux fournisseurs. D’autres se sont concentrés sur des initiatives privées de renforcement des capacités visant à améliorer les systèmes de gestion interne des fournisseurs. Certaines ont adopté des programmes de certification, qui combinent renforcement des capacités et des mécanismes de contrôle. Bien que chacune de ces méthodes ait apporté quelques améliorations ponctuelles, aucune n’a réussi à résoudre les problèmes les plus sérieux ou systématiques relatifs aux droits de l’homme dans leurs chaînes d’approvisionnement, tels que les problèmes de sécurité dans les usines au Bengladesh, le mauvais traitement des travailleurs dans le secteur de la pêche thaïlandais, le travail des enfants dans la production de cacao en Afrique de l’ouest, ou les problèmes liés à l’exploitation des minerais qui alimente les conflits au Congo. 

Une nouvelle approche en matière de chaînes d’approvisionnement est nécessaire. Elle doit être basée sur : 1. Une approche spécifique selon les secteurs et basée sur les normes ; 2. Une évaluation des risques sérieux associés à chaque chaîne d’approvisionnement dans sa totalité ; 3. De nouvelles mesures de réparations qui répartissent les coûts et responsabilités entre les acteurs publics et privés ; et 4. La collaboration avec les défenseurs des droits de l’homme, syndicalistes et représentants des communautés à la fois pour le développement de normes et pour la surveillance de la mise en œuvre et le respect de ces normes.

Chaque secteur de l’industrie doit travailler avec d’autres acteurs clés pour développer des normes et des indicateurs communs relatifs aux droits de l’homme qui poseront une base claire et importante pour leur secteur. Ces normes doivent être appliquées à la totalité des chaînes d’approvisionnement des entreprises, y compris à toutes celles qui contribuent à la valeur de leurs produits finis et matières premières. Pour évaluer tout ce processus, il est nécessaire de faire la distinction entre visibilité et responsabilité. Le but pour les entreprises doit être de donner plus de visibilité sur la totalité de leurs opérations ainsi que sur celles de leurs fournisseurs et de leurs sous-traitants, tout en reconnaissant qu’une telle transparence ne signifie pas qu’elles doivent être tenues seuls responsables des coûts de tous les recours. Les défenseurs des droits de l’homme et les représentants des travailleurs ont un rôle crucial à jouer, à la fois pour aider à façonner ces normes et pour garantir une transparence totale. Ce faisant, ils doivent être protégés contre le harcèlement et les persécutions afin de leur permettre de jouer ce rôle vital.

Enfin, une fois que ces risques et coûts réels ont été établis, un nouveau modèle de recours doit être développé, un modèle qui reconnaisse la responsabilité partagée des marques internationales, des fournisseurs locaux, des gouvernements d’origine et d’accueil, des institutions financières internationales et des organismes caritatifs privés. C’est seulement avec la répartition des coûts entre ces institutions privées et publiques clés que les défis les plus sérieux et importants en matière de droits de l’homme dans les chaînes d’approvisionnement seront abordés de manière significative.

Michael Posner est le Professeur « Jerome Kohlberg » d’Ethique et de Finance et co-directeur du Centre pour les entreprises et les droits de l’homme de la NYU Stern School of Business. Il est l’ancien Secrétaire Adjoint d'État pour la Démocratie, les Droits de l'Homme et le Travail, et membre du Comité d’ISHR. Suivez-le sur Twitter à @mikehposner.

 

Dans les semaines et jours précédant le Forum des Nations Unies sur les droits de l’Homme et les entreprises, ISHR publiera une série d’articles rédigés par des experts reconnus tels que des défenseurs des droits de l’Homme, des représentants de l’ONU, des diplomates, des représentants d’entreprises et des ONG internationales. Chaque article comprendra une analyse du rôle crucial des défenseurs et sera inclus dans une compilation qui constituera l’édition spéciale de notre Human Rights Monitor. Cette édition sera publiée  le 9 novembre en français, anglais et espagnol. Les opinions exprimées dans ces articles sont celles de leurs auteurs respectifs et ne reflètent pas nécessairement les positions d’ISHR.