La Banque mondiale doit protéger les acteurs de la société civile contre les représailles

01.11.2015

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Genève – Par Jessica Evans et Sarah Saadoun, chercheuse sénior et chargée de plaidoyer, et Sarah Saadoun, Fellow, à Human Rights Watch. 

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Genève – Par Jessica Evans et Sarah Saadoun, chercheuse sénior et chargée de plaidoyer, et Sarah Saadoun, Fellow, à Human Rights Watch. 

La Banque mondiale et la Société financière internationale ont la responsabilité de protéger les défenseurs des droits de l’homme et autres acteurs de la société civile contre les représailles liées aux projets qu’elles soutiennent ou financent.

Au Cambodge, un petit groupe de femmes se sont mises à chanter sur le terrain vague où se trouvait autrefois le lac Boeung Kak. Une entreprise a rempli le lac de sable et, avec l’aide du gouvernement, a convaincu ou forcé des milliers de familles à quitter leur maison pour faire place à un complexe haut de gamme. Les femmes sont venues avec un groupe de familles afin de délimiter les terrains de leurs maisons détruites, mais la police est arrivée et a arrêté 13 de ces femmes, l’une d’entre elle ayant 72 ans. Un tribunal les a condamnées dans les 48 heures, sur la base de fausses accusations, à 30 mois de prison, bien que certaines de ces peines aient été suspendues.

L’année précédente, le Panel d’inspection de la Banque mondiale a découvert que les expulsions du lac Boeung Kak étaient directement liées à un projet de la banque et enfreignait sa politique, ce que la banque elle-même a reconnu. La banque a répondu comme il se devait : lorsque le gouvernement cambodgien a refusé de travailler avec la banque pour remédier à ces injustices, la banque a gelé tout nouveau financement destiné au gouvernement jusqu’à ce qu’une solution soit trouvée pour les familles affectées.

La Banque mondiale est pourtant restée largement silencieuse sur ce sujet. Elle a également gardé le silence lorsque les forces de sécurité et les tribunaux cambodgiens ont exercé des représailles à l’encontre de détracteurs du projet en les jetant en prison, en réprimant violemment des manifestations pacifiques contre les expulsions, et en menaçant, harcelant et espionnant des membres de la communauté ayant émis des critiques.

La Banque mondiale et sa filiale dédiée aux prêts au secteur privé, la Société financière internationale (SFI), sont également restées de marbre dans de nombreux pays lorsque des gouvernements ou des entreprises ont fait l’usage de représailles contre des détracteurs de projets. Au cours des deux dernières années, nous avons interviewé des détracteurs de projets au Cambodge, en Inde, en Ouganda, en Ouzbékistan et ailleurs. Plus de la moitié des personnes ayant déposé des plaintes officielles contre 34 projets financés par la banque ont déclaré avoir été menacés ou avoir été exposés à quelque forme de représailles.

Dans un de ces pays, le gouvernement a arrêté un interprète que le mécanisme interne de traitement des plaintes de la banque avait lui-même embauché pour l’aider à enquêter sur les plaintes déposées par une communauté concernant un important projet de développement, mais à part poser quelques questions au gouvernement sur l’arrestation, la banque n’a pas fait grand-chose. L’interprète est toujours emprisonné. Malgré l’influence considérable du Groupe de la Banque et son accès de haut niveau à ses clients gouvernementaux et aux entreprises, il n’a systématiquement rien fait, ou trop peu, pour les persuader de tolérer les critiques ou pour intervenir en faveur des victimes de représailles.

La réticence de la Banque mondiale et de la SFI à prendre une position ferme contre les efforts visant à faire taire les critiques est une manifestation du rejet par le Groupe de la Banque de ses responsabilités au sens large en matière de droits de l’homme. En réponse à une lettre de Human Rights Watch demandant à la Banque mondiale et à la SFI ce qu’elles font pour prévenir et répondre aux représailles, le Groupe de la Banque n’a pas répondu à la question et a plutôt souligné le fait qu’il « n’est pas un Tribunal des droits de l’homme. » La Banque mondiale a utilisé des arguments similaires pour justifier le fait qu’elle n’intègre pas les normes relatives aux droits de l’homme dans ses politiques de protection, affirmant qu’elle ne peut pas faire appliquer les obligations des gouvernements en matière de droits de l’homme, et qu’elle doit se limiter à veiller au respect de ses propres politiques de protection, qui ne sont elles-mêmes pas conformes aux normes internationales en matière de droits de l’homme.

Ceci est une mauvaise excuse que le Groupe de la Banque utilise pour tourner le dos aux populations qui méritent sa protection, et dénature totalement ce qui est attendu de la Banque. On ne s’attend pas à ce que la Banque vérifie qu’un gouvernement ou une entreprise s'acquitte de ses obligations en matière de droits de l’homme, mais à ce qu’elle s’assure que ces derniers ne sont pas impliqués dans des violations dans le cadre de projets qu’elle finance.

Ce principe, que l’on appelle le principe de diligence raisonnable, est le cœur de la responsabilité sociale des entreprises. Les Principes directeurs des Nations Unies sur les entreprises et les droits de l’homme stipulent que les entreprises doivent exercer une diligence raisonnable en matière de droits de l’homme afin d’identifier et de réduire les impacts sur les droits de l’homme non seulement de leurs propres activités, mais également des activités auxquelles elles sont directement liées en vertu de leurs partenariats commerciaux. Exercer une diligence raisonnable pour prévenir, enquêter et remédier aux actes de représailles ne ferait pas de la banque un tribunal de droits de l’homme ; cela en ferait un acteur responsable.

De plus, les représailles permettent de rappeler clairement que la Banque mondiale se trompe si elle pense pouvoir faire une nette distinction entre les droits de l’homme et ses mesures de protection. Les politiques du Groupe de la Banque ont besoin de consulter de manière significative les populations affectées par ses projets, et le succès de ces consultations dépend d’un environnement sûr dans lequel chacun peut s’exprimer librement sans crainte de représailles. Il en est de même pour les mécanismes de responsabilisation pour le règlement des plaintes : leur utilité est sévèrement mise à mal lorsque la banque refuse de protéger les personnes qui lancent des enquêtes en prenant de grands risques personnels. Autrement dit, les représailles perpétrées par un gouvernement ou une entreprise à l’encontre de détracteurs de projets sont un sérieux obstacle à la mise en œuvre efficace des politiques de la banque.

En tant qu’institution publique ayant pour mission la réduction de la pauvreté, le Groupe de la Banque doit être un leader en matière de diligence raisonnable afin de protéger les personnes affectées par les projets qu’il finance, y compris lorsque ces personnes font face à des menaces, du harcèlement ou des peines de prison seulement pour avoir déposé une plainte ou avoir dénoncé les impacts négatifs de projets de la banque. Il est grand temps que la banque cesse de fuir ses responsabilités, auquel cas les populations sont obligées d’élever leur voix et d’exiger réparation à leurs propres risques.

Jessica Evans est chercheuse sénior et chargée de plaidoyer travaillant sur les institutions financières internationales à Human Rights Watch. Suivez-la sur Twitter à @evans_jessica.

Sarah Saadoun est la Leonard H. Sandler Fellow à Human Rights Watch. Suivez-la sur Twitter à @sarah_saadoun.

 

Dans les semaines et jours précédant le Forum des Nations Unies sur les droits de l’Homme et les entreprises, ISHR publiera une série d’articles rédigés par des experts reconnus tels que des défenseurs des droits de l’Homme, des représentants de l’ONU, des diplomates, des représentants d’entreprises et des ONG internationales. Chaque article comprendra une analyse du rôle crucial des défenseurs et sera inclus dans une compilation qui constituera l’édition spéciale de notre Human Rights Monitor. Cette édition sera publiée  le 9 novembre en français, anglais et espagnol. Les opinions exprimées dans ces articles sont celles de leurs auteurs respectifs et ne reflètent pas nécessairement les positions d’ISHR. 

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