Des opportunités se présentent aux défenseurs des droits de l’homme pour assurer le respect du principe de responsabilité des entreprises : faire appliquer l’obligation extraterritoriale de protection des droits de l’homme

30.10.2015

This article is also available in English, here.

Lea este artículo en español aquí.

Genève  – Par Bret Thiele, codirecteur exécutif de la Global Initiative for Economic, Social and Cultural Rights, qui entreprend un travail de plaidoyer dans le domaine des obligations extraterritoriales en matière de droits de l’homme. 

Les sociétés transnationales et autres entreprises ont un impact considérable sur le monde dans lequel nous vivons, et notamment sur les droits de l’homme. Selon la Banque mondiale, en 2012, 63 pour-cent des 175 plus grandes entités économiques mondiales étaient des sociétés, et les activités commerciales ont un impact sur les droits de l’homme à travers le monde. Par conséquent, des défenseurs des droits de l’homme s’efforcent de plus en plus à développer des tactiques, des stratégies et des mécanismes visant à tenir les acteurs d’entreprises responsables de leurs obligations en matière de droits de l’homme.

Ce travail de plaidoyer a mené à la mise en place d’un cadre en matière de droits de l’homme qui prend cette réalité en compte, et qui comprend notamment deux initiatives clés. La première est l’adoption de Principes directeurs sur les entreprises et les droits de l’homme. La seconde est l’avancée vers l’adoption d’un traité relatif aux droits de l’homme juridiquement contraignant sur les acteurs d’entreprises, une initiative qui a émergé grâce à une forte mobilisation de la société civile. Les deux initiatives sont prometteuses dans une certaine mesure, mais elles présentent aussi des inconvénients. Les Principes directeurs ont malheureusement été élaborés plus comme un cadre de responsabilité sociale des entreprises que comme un cadre de responsabilisation des entreprises, puisqu’ils sont par définition volontaires et qu’ils n’appliquent pas le corpus actuel intégral du droit international aux activités commerciales. Et tandis que le processus vers l’adoption d’un traité juridiquement contraignant est salué et absolument nécessaire, l’adoption et la mise en œuvre d’un tel traité prendra du temps.

Heureusement, il existe actuellement d’autres moyens pour tenir les acteurs d’entreprises responsables en utilisant le cadre existant en matière de droits de l’homme, à savoir en rendant les Etats responsables de leurs obligations respectives relatives à la protection des droits de l’homme. Les Etats peuvent remplir leurs obligations en imposant directement des régulations sur les entreprises et en mettant en place des mécanismes de reddition de comptes et de recours lorsque ces entreprises viennent à violer les droits de l’homme. Alors que l’obligation de protéger les droits de l’homme est bien ancrée dans le contexte des activités commerciales au niveau national, l’obligation extraterritoriale (OET) de protéger les droits de l’homme est de plus en plus utilisée pour faire rendre des comptes aux entreprises transnationales pour leurs impacts sur les droits de l’homme à l’étranger.

Particulièrement guidés par les défenseurs des droits de l’homme et la société civile, les organes de traités des Nations Unies, comités mandatés pour veiller au respect des traités relatifs aux droits de l’homme, ont commencé à appliquer sérieusement l’obligation extraterritoriale de protéger les droits de l’homme dans le cadre des entreprises et autres entités commerciales. Par exemple, en s’appuyant sur des déclarations antérieures, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels, qui veille  au respect du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, a adopté la formulation la plus claire sur l’OET de protéger les droits de l’homme dans le cadre de la responsabilisation des entreprises, en exprimant ses préoccupations concernant « le fait que l’État partie n’a pris aucune mesure adéquate et efficace pour garantir le respect des droits économiques, sociaux et culturels par les entreprises chinoises, publiques ou privées, notamment dans leurs activités à l’étranger » et en recommandant à la Chine :

a)              D’établir un cadre réglementaire précis applicable à toutes les entreprises qui opèrent sur son territoire, de manière à garantir que leurs activités favorisent l’exercice des droits économiques, sociaux et culturels de l’homme et n’y portent pas atteinte;

b)              D’adopter les mesures législatives et administratives voulues pour assurer la responsabilité juridique des entreprises et de leurs filiales qui exercent leurs activités ou sont basées sur son territoire en ce qui concerne les violations des droits économiques, sociaux et culturels dans le contexte des projets menés à l’étranger.

Le Comité des droits de l’homme, qui veille au respect du Pacte international sur les droits civils et politiques, a aussi fait appliquer des OET dans ce contexte. Par exemple, le Comité a récemment adopté des conclusions finales sur le Canada dans lesquelles il exprime ses préoccupations « concernant des allégations d’abus à l’encontre des droits de l’homme commis par des entreprises canadiennes ayant des activités à l’étranger… et concernant le manque d’accès à des recours par les victimes de telles violations. » Le Comité a également déploré « l’absence d’un mécanisme indépendant efficace avec le pouvoir d’enquêter sur des plaintes faisant état de violations commises par de telles entreprises et qui entravent l'exercice des droits fondamentaux des victimes, ainsi que l’absence d’un cadre juridique qui faciliterait de telles plaintes. » Le Comité a ensuite recommandé au Canada de « a) augmenter l’efficacité des mécanismes existants afin de garantir que toutes les entreprises canadiennes sous sa juridiction, et en particulier les sociétés minières, respectent les normes relatives aux droits de l’homme dans leurs activités à l’étranger ; b) envisager d’établir un mécanisme indépendant ayant le pouvoir d’enquêter sur des violations des droits de l’homme commises par de telles entreprises à l’étranger ; et c) développer un cadre juridique qui offre des recours aux personnes ayant été victime d’activités de ces entreprises travaillant à l’étranger. »

Le défi à présent pour les défenseurs des droits de l’homme est de maintenir cette dynamique et de faire fructifier ces déclarations par le biais d’activités de plaidoyer au niveau national, afin de réaliser un changement positif réel sur le terrain. Néanmoins, une campagne de plaidoyer concertée doit également inclure l’OET de mettre en œuvre les droits de l’homme, en s’assurant que les acteurs d’entreprises non seulement s’abstiennent de commettre des violations des droits de l’homme, mais soient également tenus de s’assurer que leurs activités, y compris leurs activités a l’étranger, promeuvent l’exercice des droits de l’homme à travers le monde.

Pour lire une compilation complète des déclarations de l’ONU sur les obligations extraterritoriales, y compris des organes de traités, veuillez consulter le Document de travail sur les déclarations de l’ONU sur les OET de la Global Initiative for Economic, Social and Cultural Rights.

En outre, la récente publication intitulée « Economie Globale, Droits Globaux : Guide pour interpréter les obligations en matière de droits de l’homme dans l’économie globale, » rédigée par ESCR-Net, examine l’application des OET par les mécanismes de l’ONU.

 

Dans les semaines et jours précédant le Forum des Nations Unies sur les droits de l’Homme et les entreprises, ISHR publiera une série d’articles rédigés par des experts reconnus tels que des défenseurs des droits de l’Homme, des représentants de l’ONU, des diplomates, des représentants d’entreprises et des ONG internationales. Chaque article comprendra une analyse du rôle crucial des défenseurs et sera inclus dans une compilation qui constituera l’édition spéciale de notre Human Rights Monitor. Cette édition sera publiée  le 9 novembre en français, anglais et espagnol. Les opinions exprimées dans ces articles sont celles de leurs auteurs respectifs et ne reflètent pas nécessairement les positions d’ISHR.