Comment se porte le monde des entreprises dans votre pays ? Prenez la société civile comme baromètre.

27.10.2015

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Genève  – Par Maina Kiai, Rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits à la liberté de réunion pacifique et d’association. 

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Genève  – Par Maina Kiai, Rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits à la liberté de réunion pacifique et d’association. 

Voici un scénario hypothétique pour les entrepreneurs du monde en 2015 : imaginons que vous êtes un homme ou une femme d’affaires créant une société, par exemple un hôtel, dans le pays imaginaire du New Yorkistan.

Vous commencez par enregistrer votre nouvelle entreprise. Cela vous paraît simple ? Pas si vite : les autorités gouvernementales locales vous disent qu’elles ne peuvent pas vous aider. L’enregistrement doit être validé par l’Assemblée nationale. Pas de relations? Vous n’avez pas de chance.

Mais disons que vous convainquez les autorités d’enregistrer votre société. Ces dernières posent juste une condition : vous ne pouvez pas travailler dans le même secteur que n’importe quelle autre entreprise déjà existante.

Désolé, le New Yorkistan a déjà un autre hôtel. Vous n’avez de nouveau pas de chance.

Et pour renforcer notre argument, disons que vous êtes le premier hôtel au New Yorkistan et que vous commencezvos activités. Mais le pays est petit et vous vous rendez vite compte que vous avez besoin d’investissements étrangers afin d’accroître vos capacités.

« Pourquoi pas », vous dira le Gouvernement. « Mais le New Yorkistan limite les investissements étrangers pour les sociétés hôtelières à hauteur de 10% de leur budget opérationnel annuel. Donc n’en acceptez pas trop. »

Cela vous semble fou ? Cela devrait être le cas. De nos jours, aucun gouvernement sensé ne restreindrait les entreprises à ce point.

Malheureusement, ces réglementations sont bien réelles, elles prennent notamment la forme des lois foncières du Nicaragua, d'Oman et d'Ethiopie. Le piège : elles ne s’appliquent qu’aux organisations de la société civile, telles que les associations non-gouvernementales, les oeuvres de bienfaisance et les associations à but non-lucratif (ou, dans le cas de la réglementation éthiopienne, seulement les associations travaillant sur certaines questions de droits de l’homme). Les entreprises ont droit à beaucoup plus d’espace pour leurs activités.

Alors que des réglementations similaires à celles énoncées ci-dessus ont été appliquées aux entreprises il y a des années, la tendance est bien différente aujourd’hui : les gouvernements font tout pour créer un environnement favorable pour le commerce, mais beaucoup font l’inverse pour la société civile.

Pourquoi une telle différence de traitement ? C’est la question que je pose dans mon nouveau rapport que j’ai présenté à l’Assemblée générale des Nations Unies en octobre 2015. J'y cite des dizaines d'autres exemples de cas où la société civile est vraiment  le parent pauvre du pays.

En Malaisie, par exemple, certaines associations peuvent être dissoutes lorsque le législateur suprême le décide ; seule « son opinion » compte. Dissoudre une entreprise nécessite un ordre de la Cour.

Au Rwanda, une entité commerciale peut être enregistrée en ligne en quelques heures, sans frais. Enregistrer une ONG peut prendre plusieurs mois, et le processus est hautement à la discrétion du Gouvernement. Les ONG étrangères ont par ailleurs l'interdiction de dépenser plus de 20% de leur budget en frais de fonctionnement. Pouvez-vous imaginer de telles règles appliquées à Microsoft ou Shell ?

Vous pouvez également regarder le niveau d’attention que les gouvernements portent à chaque secteur. 40 chefs d’Etat ont participé au dernier Sommet de Davos. Aucun d’entre eux n’est venu à l’Assemblée mondiale de CIVICUS et au Forum mondial de l’International Center for Not-for-Profit Law, qui sont des évènements de la société civile d’envergure comparable.

Mettre ces exemples en avant ne revient pas à dire que les Etats ne doivent pas créer des environnements visant à aider les entreprises à prospérer. La question est plutôt : pourquoi les Etats ne peuvent-ils pas faire de même pour la société civile ?

Un cynique pourrait dire que la réponse est plutôt simple. Un secteur offre la promesse de la croissance, du développement, et (dans un nombre de cas malheureusement bien trop élevé) de l’argent dans les poches des responsables. L’autre offre la perspective d’une critique publique acharnée et est perçu comme une menace au pouvoir. C’est probablement pour cela que les médias critiques à but lucratif font face à des obstacles similaires à la société civile critique. Favoriser un secteur plutôt qu’un autre semble être une décision facile pour les gouvernements de nos jours. Mais est-ce la bonne décision ?

Ce n’est évidemment pas la bonne décision du point de vue du droit international des droits de l’homme. Et c'est précisément pour cela que le droit international protège les droits à la liberté de réunion pacifique et d’association. Les gouvernements ne sont peut-être pas toujours à l’aise lorsque les citoyens s’organisent et font du bruit, mais préserver la capacité du peuple à faire cela est essentiel dans une démocratie.

Mais ce n’est pas non plus la bonne décision du point de vue des affaires.

Là où la société civile est dynamique, l’Etat de droit est plus fort, la transparence est plus grande et les marchés sont moins entachés par la corruption. La présence d’une société civile critique peut être perçue comme un baromètre de la confiance et de la stabilité d’un Etat, qui sont d’importants facteurs pour les entreprises cherchant à investir.

De fait, en faisant des recherches pour ce rapport, j’ai trouvé que la présence d’un secteur fort et dynamique de toute la société civile sans exception est la garantie qu’un Etat possède également un environnement propice aux entreprises. Autrement dit, il y a une convergence d’intérêts significative : là où la société civile va bien, les affaires vont bien aussi.

Je ne dis pas que les entreprises et la société civile doivent être traitées de manière uniforme sous tous les aspects. Elles ont leurs différences. Je défends plutôt une « égalité sectorielle », c’est-à-dire une approche juste, transparente et impartiale, où la réglementation de chaque secteur est basée sur le droit et les standards internationaux, et non pas guidée par l’argent, le pouvoir ou les caprices des dirigeants.

C’est une approche qui fonctionne pour les deux secteurs car elle se base sur des principes partagés : la prédominance de l’autorité du droit sur l’autorité de la force, de la prédictibilité sur le désordre, de la justice sur la corruption. Des environnements stables et équilibrés qui tolèrent la contestation sont meilleurs pour tout le monde, que ce soit pour les sociétés multinationales ou les collectifs d’activistes locaux.

Je considère que l’équité sectorielle est comme une sorte de plan de relance pour la société civile comme pour les entreprises : l’amélioration de la situation de la première aurait des retombées économiques, sociales et politiques pour tout le monde. Et ce qui est encore mieux, c’est que cela ne coûterait pratiquement rien aux Etats. Il y a juste besoin de volonté politique. Il est temps pour les entreprises et la société civile de travailler ensemble vers ce but.

Maina Kiai est le Rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits à la liberté de réunion pacifique et d’association.

 

 

 

 

 

 

 

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